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Chaplin et les sports d’hiver

Un article de Lisa Stein, 2006

Charlie Chaplin et Douglas Fairbanks à Saint-Moritz
Charlie Chaplin et Douglas Fairbanks à Saint-Moritz

Nous avons tous lu les récits relatant combien Charlie avait horreur du froid. Par exemple, il voulut absolument quitter les studios d’Essanay à Chicago après avoir passé seulement un mois hivernal (janvier 1915) au Lac Michigan. Il faisait aussi souvent brûler du charbon dans son foyer à Vevey même durant la saison estivale. Cependant, les récits moins connus sont ceux relatant combien Charlie aimait profiter des avantages dont mère nature offrait en hiver. La tournée européenne qu’il fit en 1931-32 me revient souvent à l’esprit puisque cette époque semble être celle où tout débuta pour Charlie, c’est-à-dire l’époque où il développa sa conscience sociale, finit par accepter les films parlants, se mit à écrire d’une façon plus créative et commença même à apprécier un peu les sports d’hiver, en particulier le ski.

Charlie Chaplin et son frère Sydney à Saint-Moritz
Charlie Chaplin et son frère Sydney à Saint-Moritz

Pendant mes recherches sur Chaplin, je suis très reconnaissante du fait que son frère Sydney ait accumulé tant de papiers, de documents et de correspondance qu’il compila depuis les premiers jours de la carrière de Charlie. Dans l’exemple qui suit, Sydney nous fournit une fois de plus les meilleurs renseignements sur le sujet. Dans une lettre écrite le 9 mars 1932 à bord du Suma Maru en route pour l’Asie du Sud-Est, Sydney adressa une lettre à R. J. Minney, auteur de The Immortal Tramp: The Life and Work of Charles Chaplin (1954), au sujet de la tournée qu’avait entrepris Charlie, une lettre qui finit par paraître pratiquement mot à mot dans le périodique Everybody’s Weekly peu de temps après. Dans cette « lettre », Syd décrivit tant ses premières expériences que celles de Charlie dans les sports d’hiver :

« J’ai retrouvé Charlie à St-Moritz en Suisse. Il avait l’air en pleine forme et était passionné du ski. Il en était à sa première saison et tout le monde me dit qu’il avait fait beaucoup de progrès. Je fus invité à me joindre à lui ainsi qu’à M. Citroën et son groupe pour effectuer une randonnée de ski le lendemain. Nous partîmes à bord de deux véhicules spécialement conçus pour M. Citroën et emportâmes notre déjeuner avec nous. Nous nous arrêtâmes à une auberge isolée luxueuse, située à des miles de nulle part et très éloignée des sentiers des skieurs, pour prendre notre déjeuner dans une atmosphère agréable. Ceci représentait ma deuxième expérience de ski et le guide m’assura que je n’avais rien à craindre. Tout ce que j’avais à faire était de garder mon équilibre et de faire confiance à Dieu. Ce fut un bon conseil puisque Dieu était beaucoup plus ferré que moi en matière de gravité étant donné que c’est Lui qui l’avait créée. Douze parmi nous entamèrent une première descente mais seulement onze arrivèrent. Une fois que j’eus repris connaissance, je me trouvai enterré sous la neige au fond d’un ravin. Le reste du groupe avait disparu. J’eus peur qu’on m’ait abandonné là pendant toute la nuit et que je meure de froid. Je réussis à me relever et à continuer ma descente. J’arrivai une heure plus tard à la gare, au moment où le groupe s’apprêtait à prendre le train pour retourner à St-Moritz. J’avais l’air d’un bonhomme de neige. Des stalactites pendaient de mon nez et de mes cils. Tout le monde éclata de rire et je fus le sujet de taquineries pendant toute la soirée. J’étais bien décidé à abandonner le ski et à limiter mes activités futures au bobsleigh, ce que je fis d’ailleurs. C’est curieux de voir ce que craint chaque personne. Charlie refusait catégoriquement de descendre la piste de bobsleigh même si on lui offrait £1000, et personne n’arrivait à le convaincre. Par contre, il n’hésitait pas à partir en randonnée de ski de soirée, ce que je n’aurais jamais accepté de faire à n’importe quel prix. Cependant, je n’avais aucune crainte des courbes dans la piste de bobsleigh. »

Bien que Charlie ait réussi à développer une certaine adresse au ski pendant son séjour à St-Moritz, il est surprenant d’apprendre, étant donné son expertise reconnue en patin à roulettes, qu’il n’était pas aussi doué au patinage sur glace. Ganna Walska, vedette d’opéra polonaise, narra dans ses mémoires intitulés Always Room at the Top (1943), une rencontre qu’elle eut avec Charlie à St-Moritz en ces termes : « une conversation philosophique après le dîner avec Charlie Chaplin compensa facilement la courte durée de la journée. Et je flirtais avec le plus bel homme que toute la Grande-Bretagne avait produit ! Il était si beau ! Sa mentalité ne semblait pas le toucher le moins du monde ! C’était merveilleux ! Cependant, il n’y avait pas moyen de l’engager dans une conversation et nous patinâmes ensemble. Il patina piteusement mais sa tenue de patinage lui allait si bien ! » (330)

Paulette Goddard
Paulette Goddard

En 1932, St-Moritz représenta l’apogée de l’expertise en sports d’hiver de Charlie. On sait qu’il se rendit à Yosemite en Californie à quelques reprises en compagnie de Paulette Goddard, Douglas Fairbanks ou King Vidor pour faire du ski (durant l’un de ces voyages, il décida d’exécuter une performance de combat de taureaux devant les passionnés de sports d’hiver qui retournaient chez eux en autobus retardé en raison d’une grosse tempête), mais comme le relate Michael Chaplin dans le récent documentaire intitulé Chaplin: The Forgotten Years (Chaplin : les années suisses), l’expertise de Charlie en ski s’était détériorée au moment où il commença finalement à emmener sa famille skier dans les Alpes au début des années 1960. Cependant, la première image qui vient à l’esprit des admirateurs de Chaplin est non pas l’un de ces exemples, mais plutôt la scène du vagabond dans La Ruée vers l’Or, skiant sans équipement le long d’une petite pente près de Chilkoot Pass. Les sports d’hiver pratiqués à Truckee en Californie en avril 1924 exigeaient des habilités et des stratégies tout à fait différentes.

La Ruée vers l'or, 1925
La Ruée vers l'or, 1925


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