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Joyeux anniversaire, Charlot !

Un article de Lisa Stein Haven, 2016

Chaplin fête ses 77 ans sur le plateau de La Comtesse de Hong Kong
Chaplin fête ses 77 ans sur le plateau de La Comtesse de Hong Kong

Quel sentiment peut-on éprouver si son anniversaire de naissance fait la manchette des journaux quotidiens chaque année ? Bien que nous sachions peu de chose sur la naissance même de Charles Chaplin, sauf pour ce qu’il mentionne au début de l’Histoire de ma vie : « Je suis né le 16 avril 1889 à huit heures du soir dans East Lane à Walworth. », nous avons plus de renseignements sur ses anniversaires subséquents. Pas tous, naturellement, mais un nombre suffisant d’entre eux pour me pousser à me demander ce qu’il a pu éprouver lorsque tout le monde a appris par les journaux qu’il venait d’avoir 50, 75 ou même 80 ans, ainsi que la façon dont il passait cette journée.

L’un des premiers témoignages de l’anniversaire de Chaplin qui parut dans les journaux, se trouve dans l’Augusta Chronicle (Georgie, Etats-Unis) le mardi 16 avril 1918. Chaplin avait accepté de partir en tournée à travers les états américains du sud pour faire la promotion des Liberty Bonds pour soutenir l’effort de guerre qui se termina à Augusta le jour de son anniversaire. Pendant qu’il passa la journée à discuter de bons au Théâtre Wells et à bavarder avec les patients de l’hôpital de la base, le juge Henry Hammond organisa une réception d’anniversaire en son honneur qui débuta à 17 h 30 au club de golf :

« Des azalées rouges et des feuilles de laurier étaient arrangées d’une manière fort artistique sur une belle table de huit couverts.

Le clou du souper fut la présentation du gâteau d’anniversaire, une vraie œuvre d’art décorée de vingt-neuf bougies où la flamme de chacune d’elles dansait gaiement et semblait rivaliser en brillance et en éclat avec l’invité d’honneur. Le gâteau fut préparé par madame Harry Cabannis, et fut énormément admiré et apprécié par monsieur Chaplin ainsi que par les autres invités. »

Chaplin parle très tendrement du juge dans l’Histoire de ma vie, qu’il désigne comme le juge Henshaw (Henshaw, Hammond, qu’est-ce que cela peut bien faire ?). Bien qu’il fut épuisé à la fin de la tournée et décidé à ne pas célébrer son anniversaire, le juge arriva quand même à le persuader « Ce que j’aime dans vos comédies, c’est votre connaissance de ce qui est fondamental : vous savez que la partie la plus indigne de l’anatomie d’un homme, c’est son derrière, et vos comédies le prouvent. Quand vous donnez un coup de pied au derrière à un gentleman imposant, vous lui ôtez toute dignité. Même le caractère impressionnant de la cérémonie d’inauguration d’un Président s’effondrerait si vous vous glissiez derrière le Président pour lui botter les fesses. » (p. 218)

Le 50e anniversaire de Chaplin fut un événement marquant et fit la manchette de tous les journaux. Il n’est sans doute pas par hasard que le tournage du film Le Dictateur fut presque finit à cette époque et qu’une telle publicité ne ferait que contribuer au succès du film. Cette stratégie fut également utilisée au tournage du film Les Temps Modernes. Le caricaturiste Feg Murray, devenu célèbre pour sa série de caricatures intitulée « Seeing Stars » qui parut dans divers journaux, semble avoir commémoré l’anniversaire de Chaplin presque chaque année. À la caricature qui parut le jour de son anniversaire en 1935 représentant Charlot en train de s’éloigner (scène prise du film Une Idylle aux Champs), on lit à la légende « Chaplin’s Back!* Le cinquième film de Charlie sortira l’automne prochain et représente son premier retour au cinéma depuis quatre ans et demi. (Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Charlie.) » La caricature qui parut à son anniversaire en 1944 montre Charlie en train de cogner sur le boxeur Benny Leonard (voir la photo).

Qu’il ait eu un nouveau film prêt à paraître ou non, Chaplin persiflait toujours les journalistes, qui le poursuivaient sans cesse le jour de son anniversaire, avec des « plans » pour un nouveau film. À son 60e anniversaire, le New York Times relata que Charlie Chaplin prévoyait raviver son célèbre « petit homme » au chapeau melon brandissant sa canne dans le rôle du protagoniste dans son premier film en couleur. Cette année là, Chaplin posa également pour une photographie de plateau prise dans la douche pour montrer que la douche froide qu’il prenait chaque jour était son secret pour demeurer jeune et en forme. En 1954, il annonça que son prochain film comparerait le style de vie européen au style de vie américain. Ce film refléta la vérité d’assez près d’ailleurs, puisqu’Un Roi à New York sortit en salles en 1957.

L’une des réceptions d’anniversaire les plus mémorables fut peut-être celle qui eut lieu aux studios Pinewood en 1966 au moment où Chaplin filmait La Comtesse de Hong Kong mettant en vedette Sophia Loren, Marlon Brando, Tippi Hedren et son fils Sydney. Les acteurs et l’équipe de tournage lui présentèrent un gâteau d’anniversaire de 1,5 mètre couronné d’une figurine du petit vagabond. Chaplin dit aux journalistes : « C’est un gâteau magnifique. J’en ai les larmes aux yeux » (New York Times).

C’est intéressant de noter le nombre de fois que la première d’un film de Chaplin eut lieu trois ou quatre jours avant ou après son anniversaire ou encore le jour même. Charlot fait une cure sortit le 16 avril 1917, et la même date en 1942 fut le deuxième lancement de La Ruée vers l’or. La première d’Une Vie de chien eut lieu le 14 avril 1918, celle d’Une Idylle aux Champs le 15 avril 1919 et celle de Monsieur Verdoux le 11 avril 1947. Est-ce une coïncidence ? Je dirais qu’à l’exception de Charlot fait une cure, la plupart de ces films lui ont causé quelques nuits blanches avant leur lancement. Par exemple, Une Vie de chien fut son premier film tourné dans son nouveau studio. Une Idylle aux Champs fut tournée durant l’une des périodes les plus sombres de sa carrière. La deuxième sortie de La Ruée vers l’or (film muet avec voix-off) fut une entreprise très risquée et Monsieur Verdoux fut le premier film de Chaplin sans le petit vagabond. Il espérait peut-être qu’un peu de chance associée à son anniversaire ferait toute la différence pour ces films, mais encore là, a-t-on jamais vu Chaplin s’effaroucher devant un défi difficile à relever ?

*(Jeu de mot en anglais en parlant du dos de Charlie et en même temps du fait que Charlie était de retour au cinéma.)


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